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André Viger lève les bras en franchissant le fil d'arrivée devant une foule qui l'acclame.

Il y a 40 ans, André Viger gagnait le marathon de Boston et semait le rêve

Le Canada possède une riche histoire en matière d’athlétisme en fauteuil roulant. Chantal Petitclerc a dominé les pistes dans les années 1990, récoltant un record de 22 médailles paralympiques. Brent Lakatos a raflé quatre médailles aux plus récents Jeux de Tokyo. Et les performances récentes d’Anthony Bouchard laissent présager que la relève est assurée pour la suite. Mais avant tout ce beau monde, il y a eu André Viger.

Et sa grande carrière a véritablement pris son élan il y aura bientôt 40 ans, le 16 avril 1984, alors qu’il remportait le prestigieux marathon de Boston. C’était la première fois qu’une catégorie fauteuil roulant faisait officiellement partie du grand événement, qui a été l’un des premiers à permettre à des coureurs handicapés de prendre le départ.

André Viger :

  • 3 médailles d'or aux Jeux paralympiques
  • 4 médailles d'argent aux Jeux paralympiques
  • 3 médailles de bronze aux Jeux paralympiques
  • 3 fois vainqueur du marathon de Boston
  • 4 fois vainqueur du marathon du Japon

Il marquait ainsi l’imaginaire de nombreux futurs athlètes, dont Chantal Petitclerc. Elle suivait alors déjà avec assiduité les exploits d’André Viger, qui a commencé dans la discipline en 1979. Il avait gagné l’année d’avant à Montréal aussi. Moi, j’étais en fauteuil roulant, je regardais ça à la télé, c’était inspirant à une époque où il y avait peu de modèles pour les personnes en situation de handicap.

Le marathon de Boston, c’est un des plus exigeants. C’était gros quand il a gagné ça, devant les yeux du monde. Ça ouvrait des portes. Ça montrait qu'on peut avoir une carrière internationale, comme personne en situation de handicap. Aujourd’hui, ça a l’air normal, mais à l’époque, c’était gros de dire ça. Et c’est André qui a commencé ça.

Une citation de Chantal Petitclerc, sénatrice et championne paralympique

Elle venait de subir l'accident qui l’a rendue paraplégique, l’année précédant le triomphe d’André Viger au Massachusetts. Elle a continué à le suivre avec assiduité, jusqu’à ses débuts avec l’équipe nationale, où elle a pu le côtoyer de près.

Je le voyais déjà avant à la télé, et pour moi, c’était une révélation, de voir un athlète comme lui être respecté, actif, reconnu. C’était aussi un message pour les personnes autour de moi. Je venais d’un village, d’un milieu modeste, et on avait encore le réflexe d’imposer des limites aux personnes handicapées plutôt que leur montrer leur potentiel.

Recroquevillée sur son fauteuil de course, elle sourit.

Chantal Petitclerc à Sydney en 2000

Photo : Getty Images / Jamie Squire

L’apport d’André Viger allait bien au-delà de sa figure de modèle. Il était aussi une cible pour ses jeunes coéquipiers, l’homme à battre, ou plutôt, à rattraper.

Marc Quessy et Luke Gingras se sont tous les deux entraînés aux côtés d’André Viger. Ils l’ont finalement pourchassé jusqu’aux Jeux paralympiques.

Marc Quessy a été victime d’un accident en 1980. Il s’est d’abord mis au basketball en fauteuil roulant, en pratiquant aussi la course à des fins de mise en forme. Sa rencontre avec André Viger a été déterminante pour la suite des choses.

L'athlète participe à une course en fauteuil roulant.

Luke Gingras, médaillé paralympique

Photo : Gracieuseté : Luke Gingras

Je suis déménagé à Sherbrooke pour les études, parce qu’il y avait toute une équipe d’athlètes en fauteuil roulant, dont André Viger. Et quand il m’a vu, il m’a dit : "Tabarnouche, laisse faire le basket, mets-toi à la course à temps plein!"

Luke Gingras est devenu paraplégique en 1984, l’année de la victoire d’André Viger à Boston, à la suite d’un accident de la route. Grand adepte de vélo, il a cherché pendant un moment un nouveau sport.

La course en fauteuil roulant, ça ne me disait rien. Tout le monde me parlait d’André Viger! Il faisait des talk shows à l’époque et tout. Mais moi, ça ne me tentait pas du tout. Je ne trouvais pas ça trippant ben ben comme sport. Jusqu’à ce que je le rencontre en personne. J’ai rencontré André Viger et Marc (Quessy) et ça a vraiment été l’élément déclencheur.

Il pose fièrement dans son fauteuil de course.

Marc Quessy, médaillé d’argent aux 800 m à Atlanta

Photo : Gracieuseté : Marc Quessy

Les trois se sont mis à sillonner les rues de Sherbrooke et le tunnel du campus universitaire. On s’entraînait constamment, le matin au gymnase avant les cours, l’hiver sur des rouleaux (des tapis) dans le condo d'André, dans les tunnels, se remémore Marc Quessy.

Les trois athlètes qui ont partagé leurs souvenirs d’André Viger à Radio-Canada Sports sont unanimes : le sportif de Windsor, en Ontario, n’était pas nécessairement le plus rapide ou le plus fort, mais assurément le plus endurant.

C’est cette force de caractère qui a marqué Chantal Petitclerc. André, c’était lui qui faisait le 42 kilomètres sous la pluie, le vent dans la face, illustre-t-elle. C’était le plus tough. Il avait de la confiance et du caractère. Il m’a appris à avoir cette agressivité saine qui est nécessaire pour avoir du succès, dans le sport. Et ça m’a servi toute ma carrière.

Elle se souviens d'une anecdote en particulier. On faisait un marathon, il était dans la catégorie masculine, en avant de moi. Et il a eu une crevaison sur son fauteuil. Je le dépasse et je me dis : "Bon, c’est terminé pour André…"

C’était à une époque où les athlètes n’avaient pas d’équipes, ils amenaient leur coffre à outils et leur "duct tape". André, il s’est arrêté sur le bord de la route, il a changé son pneu. Et là, j’entends un grognement primal derrière moi, vraiment un grognement. Je me retourne, c’est André. Il me dépasse, il voulait rattraper le peloton. Évidemment, il n'a pas gagné, mais il a continué, et ça, c’est resté profondément en moi. Tu n’arrêtes pas tant que tu n’as pas traversé le fil d’arrivée.

Une citation de Chantal Petitclerc, sénatrice et championne paralympique

André, si tu réussissais à le battre sur une séance d’entraînement, ça voulait dire que tu étais de calibre international, indique Luke Gingras. ­­Ça a été long pour moi avant de le rattraper.

L’homme de Québec a ensuite récolté trois médailles paralympiques aux Jeux de Barcelone, en 1992. Son plus grand fait d’armes est d’avoir été sélectionné pour une épreuve de démonstration aux Championnats du monde de 1991. Il fallait que tu sois parmi les six plus rapides au monde pour être là. C’est André qui m’a amené là.

L'homme en fauteuil roulant est renversé le long d'une barricade de sécurité.

Marc Quessy lors d'une chute au marathon des Jeux du Commonwealth en août 1994.

Photo : STR New

Marc Quessy croit aussi qu’il doit ses succès à toutes les heures qu’il a passées à souffrir aux côtés de l’infatigable André Viger. Aux Jeux paralympiques de Séoul, en 1988, l’élève dépasse le maître. Il termine 2e au marathon, devant Viger qui prend le 6e rang.

Il était content pour moi. On était toujours fier l’un l’autre, entre coéquipiers, quand l’autre gagnait. Quand il gagnait, j’étais content. Quand je gagnais, il était content. Mais c’est arrivé beaucoup plus souvent que je sois content pour lui!

Une citation de Marc Quessy, médaillé aux Jeux paralympiques de Séoul, en 1988

Le marathon de Boston a toutefois échappé à ses jeunes dauphins.

Boston a été une victoire importante pour lui, parce que c'était une compétition très relevée et c'était une course vraiment difficile déjà réputée pour sa catégorie fauteuil roulant, témoigne Chantal Petitclerc, qui parle d'expérience. Je n'étais pas une spécialiste du marathon, mais je l'ai essayé et je ne l'ai jamais gagné.

Ce n'était pas une boucle, mais une course qui part du point A au point B. Ça commence en descendant et ça devient vite très rapidement. C'est un bon dénivelé. C'était à une époque aussi où les équipements étaient moins performants, rappelle Marc Quessy.

Le grand souci du détail d'André Viger l'a aidé dans son triomphe, mais il a aussi été avantagé par son gabarit, explique Luke Gingras. Il y a quelques montées importantes, donc, tu devais être fort des abdominaux. André, il mesurait cinq pieds cinq, il était assez léger, avec tous ses muscles et ses abdominaux. Tu ne pouvais pas rivaliser avec André sur un circuit comme celui-là.

Chantal Petitclerc croit avoir déjà aperçu une photo ou une plaque commémorant la victoire d'André Viger, dans son atelier. Mais je ne suis pas sûre que c'est lui qui l'a placée là. Il nous parlait pas mal plus des courses qu'il perdait que de celles qu'il gagnait.

Défoncer des portes

L’héritage d’André Viger dépasse largement les pistes d’athlétisme. Cinq boutiques, qui offrent des produits spécialisés en orthopédie, en sports et en mobilité, portent son nom. Comme il était un pionnier, il n’a pas eu le choix de se développer une expertise en réparation de fauteuils roulants.

Chantal Petitclerc s’arrangeait toujours pour faire ajuster son fauteuil roulant à son atelier avant les grandes compétitions. J’étais nerveuse des fois, j’allais lui poser des questions. J’avais plein de questions sur les stratégies. Il savait me calmer, il me disait : "Pas besoin de tout analyser, fonce, roule vite, c’est tout!" Il est toujours resté intéressé à ce qui passait dans le milieu. Il s’informait des nouveaux venus.

Il est, en quelque sorte, le père de l’athlétisme en fauteuil roulant. Il a semé de petites graines d'espoir qui ont finalement donné naissance à tout un arbre généalogique de grands athlètes, explique Luke Gingras. André a fait des petits un peu partout. Après lui, il y a eu Chantal, moi, Marc Quessy, mais aussi Dean Bergeron, Mathieu Blanchette, énumère-t-il.

Pour en arriver là, André Viger a parfois dû défoncer des portes. Chantal Petitclerc, aujourd’hui sénatrice, rappelle qu’il a fait son entrée en scène dans un monde où l'inclusion n'était pas encore à la mode.

Tellement qu’il s’est souvent buté à des portes fermées, qu’il n’a pas eu le choix de défoncer.

Il était dans l’action, confirme Chantal Petitclerc. Je me souviens, il nous avait inscrits à un 10 kilomètres, il n'avait pas dit aux organisateurs qu’on était en fauteuil roulant. L’organisateur était super stressé de nous voir arriver!

Il nous disait : "Je ne peux pas vous laisser prendre le départ". André nous a dit : "On bouge pas, on prend le départ pis c’est tout." J’avais plus peur d’André que de l’organisateur. On a fait la course!

Une citation de Chantal Petitclerc, sénatrice et championne paralympique

Maintenant, les organisations se font un plaisir de distribuer des dossards aux athlètes en fauteuil roulant.

Leur apport est même aujourd’hui célébré, confirme le responsable des communications du marathon de Boston, Chris Lotsbom. Notre événement a toujours servi de lieu de dépassement de soi pour quiconque était prêt a relever le défi au cours des 128 dernières années. En 1975, notre événement est devenu le premier marathon majeur a accueillir des athlètes en fauteuil roulant. Depuis, les para-athlètes ont parcouru des milliers de kilomètres et ont établi des records.

Souriant, il lève les bras, l'air triomphant.

André Viger a remporté trois fois la prestigieuse course de Boston (1984, 1986 et 1987).

Photo : CP / David M. Tenenbaum

Aujourd’hui, des prix en argent et des trophées sont remis aux gagnants de différentes catégories, en fonction du handicap.

L’organisation a l’habitude de commémorer les victoires de ses champions tous les 50 ans. Ce sera donc en 2034 que la course d’André Viger sera soulignée. Mais d’ici là, les traces de sa victoire sont bien visibles sur des pistes d’athlétisme un peu partout à travers le pays.

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