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AnalyseLa Turquie avalise l’élargissement de l’OTAN

Recep Tayyip Erdogan devant le logo de l'OTAN.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, participe à un sommet de l'OTAN, en mai 2022. (Photo d'archives)

Photo : Reuters / Yves Herman

Après 20 mois de tractations, le Parlement turc, dominé par un parti sous la houlette du tout-puissant président Recep Tayyip Erdogan, a approuvé, mardi, l’adhésion de la Suède à l’OTAN.

La candidature suédoise, qui ne nécessite plus désormais que le feu vert de la Hongrie, a été avalisée par les députés turcs, avec 287 voix pour et 55 contre.

L’œuvre involontaire de la Russie

L’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance atlantique est une histoire improbable, déclenchée un matin d’hiver par l’invasion russe de l’Ukraine.

Dans les semaines qui suivent l’agression du 24 février 2022, les dirigeants à Stockholm et à Helsinki, dans des pays alors gouvernés à gauche et ayant, dans les deux cas, une très longue tradition de neutralité stratégique, annoncent qu’ils vont changer leur fusil d’épaule, du jour au lendemain. C’est l’ours russe qui leur inspire directement ce geste.

Le secrétaire général donne une poignée demain à Zelensky lors d'une conférence.

Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, rencontre le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en avril 2023. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Efrem Lukatsky

Guerre en Ukraine

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Un véhicule blindé est en feu, un corps gît dans la rue.

Les annonces sont faites dès le mois de mars, et le 15 mai de cette année de guerre en Europe, la Finlande et la Suède vont de façon coordonnée présenter officiellement leur candidature et frapper ensemble à la porte de l’OTAN.

Poutine, qui escomptait affaiblir et diviser le camp européen par son audacieuse initiative, obtient le résultat inverse. Il vient de pousser deux pays progressistes, plutôt retirés dans leurs terres (très étendues, malgré des populations modestes)... dans les bras de l’alliance ennemie.

L’élargissement de l’OTAN sera ultimement l’œuvre involontaire de la Russie!

Près de 2000 km de frontière Russie-OTAN

Avec la Finlande, c’est quelque 1340 kilomètres supplémentaires de frontière directe de l’OTAN, adossée à la Russie, qui vont s’ajouter. Avant cette adhésion, la frontière avec l’OTAN était de 570 kilomètres (Estonie + Lettonie). Après, elle passe à 1930 kilomètres, soit une augmentation de 235 %.

La Suède n’a pas de frontière avec la Russie, mais ajoute à l’OTAN un bloc compact de près d’un demi-million de kilomètres carrés et confère une continuité géographique qui manquait à l’ensemble, dans toute la partie nord de l’Europe.

Cependant, faire entrer de nouveaux membres dans l’OTAN, c’est un processus qui nécessite l’unanimité des États qui composent l’Alliance – ils sont à l’époque 30 – avec des votes de ratification à l’échelle nationale.

Deux moutons noirs

Il apparaîtra vite que deux pays, sur les 30, se trouvent en travers du chemin. Un en particulier, la Turquie d’Erdogan, l’autre étant la Hongrie de Viktor Orban. Deux hommes forts connus pour leurs pratiques autoritaires en interne et leur sympathie (au moins relative, dans le cas d’Erdogan, plus franche dans le cas d’Orban) face à la Russie de Poutine.

Pourquoi la Turquie et la Hongrie résistent-elles donc à ce processus?

Il y a plusieurs raisons possibles, qui peuvent s’additionner. Le caractère autoritaire des personnages peut les rapprocher de Vladimir Poutine. On dit que les trois s’entendent bien. La paire Orban-Poutine serait même chaleureuse. Ils sont très chatouilleux lorsqu’on critique leur démocratie contrôlée, aux résultats connus d’avance et répétés.

Viktor Orban.

Viktor Orban, premier ministre hongrois

Photo : Getty Images / Marcos Brindicci

À l’international, Erdogan joue une espèce de jeu néo-impérial sur la scène régionale, par exemple en Syrie. Les relations Moscou-Ankara ont connu des hauts et des bas. Ils se sont même tiré dessus dans le ciel syrien, en 2015. Mais ces dernières années, elles étaient plutôt au réchauffement.

Orban, quant à lui, même si son petit pays a un lointain passé impérial (l’Empire austro-hongrois, mort en 1918), a surtout une dépendance économique face à Moscou. Budapest a d’ailleurs obtenu une exception pour son pays sur la livraison des hydrocarbures russes, que le reste de l’Union européenne boycotte désormais.

Voilà donc deux alliés officiels de l’OTAN, dont un également dans l’Union européenne, qui se trouvent en même temps être… de bons amis de la Russie!

Le revirement d’Ankara

Alors, qu’est-ce qui a fait changer d’avis à la Turquie?

Dans le comportement d’Ankara, mais aussi de Budapest et de leurs leaders, très chatouilleux face aux critiques, il y a sans doute une part d’arbitraire et d’improvisation dans ces 20 mois d’objections, d’hésitations, de renversements, de retards, devant le processus d’incorporation de la Suède et de la Finlande.

Un processus qui est, en outre, utilisé par la Hongrie et la Turquie comme une occasion tactique.

Erdogan, face à la Suède, et aussi pendant un moment face à la Finlande finalement incorporée en avril 2023, a mis en avant des réclamations spécifiques, sans grand rapport avec la stratégie ou la géopolitique.

Le Parlement turc.

Le Parlement turc s'est finalement prononcé en faveur de l'adhésion de la Suède à l'OTAN, mardi.

Photo : Associated Press / Ali Unal

Il s’agit du traitement favorable que Stockholm accordait aux dissidents turcs d’origine kurde, dont un certain nombre avaient trouvé refuge dans le pays nordique.

S’emparant de cette question, Erdogan a effectué un chantage efficace. Il a forcé la Suède à réviser sa constitution pour qu’elle définisse le terrorisme de façon plus large, pour y faire inclure les dissidents kurdes, qui vont perdre beaucoup au change.

Dans cette transaction qui s’est déroulée par-dessus leur tête, les droits des Kurdes ont servi de monnaie d’échange, et ce n’est pas la première fois dans l’histoire de ce peuple malheureux.

Des avions américains pour la Turquie

Il y a aussi un volet américain à cette histoire.

La Turquie d’Erdogan – qui, en passant, achète des systèmes de défense antiaérienne à la Russie, chose singulière pour un pays de l’OTAN – se fournit également aux États-Unis.

Il décolle lors de l'exercice « Air Defender 2023 » à l'aéroport militaire de Jagel, dans le nord de l'Allemagne, le 9 juin 2023.

Un avion F-16 de l'armée de l'air turque (Photo d'archives)

Photo : Reuters / Axel Heimken

Sur la table : une éventuelle livraison d’avions F-16 à Ankara, toujours en attente d’approbation au Congrès américain, même si la Maison-Blanche a dit oui. Il est plausible que les États-Unis aient joué sur cette demande de F-16 par Ankara pour obtenir le OK accordé à la Suède.

Du point de vue du leader turc, en même temps qu’il forçait la main à Stockholm sur le dos des Kurdes, il incluait dans son marchandage la mise à niveau de sa défense aérienne. Bien joué!

Vers un OK de Budapest

Ne manque plus maintenant que l'approbation Budapest. Est-il assuré qu’il suive celle d’Ankara?

Dans toute cette histoire, la Hongrie a plutôt eu tendance à suivre la Turquie. Le 23 janvier au matin, à Budapest, peu avant le vote du Parlement turc, Viktor Orban a voulu se donner de l’importance : il a invité le premier ministre suédois à venir en Hongrie pour négocier l’adhésion de la Suède.

Il parle dans un micro devant des drapeaux.

Le premier ministre de la Suède, Ulf Kristersson, lors d'une conférence de presse de l'OTAN, au début mars 2023.

Photo : Getty Images / JONATHAN NACKSTRAND

Réponse immédiate, du tac au tac, du ministre suédois des Affaires étrangères : Il n’y a pas de quoi négocier! Mais bien sûr, a-t-il ajouté, les deux pays peuvent continuer à discuter de diverses questions.

Donc, du côté de Budapest, il y a encore un petit suspense artificiel dans cette histoire interminable, mais la conclusion approche sans doute, après le jalon franchi par Ankara.

Malgré toutes les difficultés – et parfois des germes de division – des Occidentaux face à la Russie et à l’Ukraine, l’OTAN est en train de réussir son opération d’élargissement. Ce qui, indépendamment de ce qui se passe sur le terrain en Ukraine, sera perçu à Moscou comme une rebuffade stratégique.

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