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Les cimenteries confrontées à leur énorme empreinte carbone

Le gouvernement de François Legault demande aux quatre cimenteries du Québec de proposer un plan de réduction des gaz à effet de serre (GES) d'ici le 1er mai. Un problème complexe pour cette filière qui émet 15 % de la totalité du carbone industriel de la province. Or, plusieurs avenues sont déjà explorées pour atteindre cet objectif.

cimenterie Lafarge à St-Constant

La cimenterie Lafarge située à Saint-Constant, au Québec, a émis 775 000 tonnes de CO2 en 2021.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

« Quand on parle de GES, c'est ici que ça passe », lance Gilles Autote, en pointant les fours de la cimenterie de Saint-Constant, en Montérégie.

L'usine produit près de 900 000 tonnes de ciment par année et exploite sur le même site une carrière de calcaire, précise le porte-parole québécois de l'entreprise Lafarge, une filiale de Holcim, le premier producteur mondial de béton.

La température des immenses tubes métalliques monte au-delà de 1400 degrés Celsius pendant la transformation du calcaire en clinker, le principal élément du ciment standard, appelé généralement ciment Portland.

Pour produire une tonne de clinker, près 800 kilos de gaz carbonique sont relâchés dans les airs au moment de la combustion. C'est la principale raison pour laquelle ce matériau a une lourde empreinte carbone.

Conséquemment, il sera difficile pour cette industrie d'atteindre l'objectif de carboneutralité fixé par Québec en 2050.

La cimenterie de Saint-Constant a émis 774 000 tonnes de GES en 2021 et, d'ici 2030, elle veut réduire ses émissions de 30 %. Tout un défi, reconnaît M. Autote, en se disant tout de même optimiste.

Cimenterie Lafarge à St-Constant

Les fours de la cimenterie Lafarge à Saint-Constant.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Le recours à des produits alternatifs

Pour atteindre cet objectif, Lafarge vient de modifier sa méthode de fabrication. Jusque-là, le carbone calciné représentait plus de 70 % de la composition du ciment. Dans la nouvelle recette, une partie du clinker est remplacée par du calcaire brut, qui n’a donc pas besoin d’être chauffé.

Les anciennes normes canadiennes imposaient un maximum de 5 % de calcaire dans le produit fini. La limite s’élève désormais à 15 %. La cimenterie entend ainsi diminuer ses émissions de GES de 60 000 tonnes dès cette année.

Pour réduire la proportion de clinker, Lafarge a déjà recours à d'autres produits dits alternatifs. La plupart sont des résidus industriels comme les cendres volantes, une matière issue de la combustion du charbon, ou le laitier, un résidu de la fabrication de l'acier.

Le but ultime, explique Gilles Autote, est d’augmenter progressivement la proportion d’ingrédients ayant une empreinte carbone moindre par rapport au carbone calciné.

Mais pour chaque modification de la recette, le défi est d'obtenir un béton de qualité et de gagner la confiance des clients parfois dubitatifs, précise-t-il.

Gilles Autote et Daniel Vadacchino, Lafarge Québec

Gilles Autote, porte-parole de Lafarge au Québec, et Daniel Vadacchino, directeur de la cimenterie de Saint-Constant.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Des cimenteries en retard

Dans son laboratoire de l’Université de Sherbrooke, le professeur en génie civil et chimique Arezki Tagnit-Hamou mène justement des recherches pour faire évoluer la composition des ciments.

Il collabore avec les cimentiers pour adopter de nouvelles technologies et avec le gouvernement québécois pour faire adopter des normes en conséquence.

Selon lui, les solutions sont connues depuis très longtemps et il ne faut pas perdre de temps pour répondre à l’urgence des changements climatiques.

Il observe d'ailleurs un changement de paradigme et soutient que l’empreinte carbone du ciment s’avère désormais un paramètre incontournable.

Il faut vraiment inclure dans le plan de match la diminution du CO2.

Une citation de Arezki Tagnit-Hamou, directeur du Centre de recherche sur les infrastructures en béton de l’Université de Sherbrooke

Sauf que les cimenteries ne partent pas toutes du même point. Certaines ont recours à des technologies très avancées, d’autres sont très en retard et, selon lui, elles devraient profiter de ce changement de paradigme pour aller vers des solutions plus innovantes.

Arezki Tagnit-Hamou, professeur à l’Université de Sherbrooke

Le professeur Arezki Tagnit-Hamou au Centre de recherche sur les infrastructures en béton de l’Université de Sherbrooke.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

L'usine de Ciment Québec, située à Saint-Basile, dans la région de Portneuf, a investi près de 150 millions de dollars pour moderniser ses installations, grâce notamment à une contribution de Québec à hauteur de 46 millions de dollars.

En revanche, la cimenterie de Joliette est connue pour ses infrastructures désuètes. Elle serait sur le point d'être vendue et le nouveau propriétaire devra investir des fonds pour mettre les installations à la page.

La controversée cimenterie McInnis, en Gaspésie, a en revanche des installations récentes, mais tous secteurs confondus, c'est l'usine québécoise qui produit le plus de gaz à effet de serre, près de 1,4 million de tonnes en 2022.

Biomasse et capture du carbone

Dans un courriel transmis à Radio-Canada, la porte-parole de la cimenterie McInnis, Lyse Teasdale, affirme que l'entreprise entend respecter les cibles imposées par le gouvernement et qu’elle va produire une feuille de route d’ici le 1er mai.

Comme Lafarge, la cimenterie explore la piste des ingrédients alternatifs et elle a déjà intégré une plus grande quantité de calcaire brut dans 80 % de sa production.

McInnis envisage également une autre option : le recours à des combustibles à faible teneur en carbone pour alimenter ses fours. L’entreprise compte d’ailleurs demander cette année un permis pour utiliser de la biomasse, une matière qui proviendrait en grande partie des forêts gaspésiennes.

Une initiative annoncée il y a plusieurs années, rappelle le militant environnementaliste Pascal Bergeron, également porte-parole de l’organisme gaspésien Environnement Vert Plus.

Il note que l'utilisation de combustibles alternatifs carboneutres pourrait réduire les émissions de GES de 10 à 20 %.

Ce serait un gain marginal, mais non négligeable, selon le professeur Arezki Tganit-Hamou, parce que les combustibles actuels sont souvent très polluants.

Il s’agit en majorité de combustibles fossiles comme le pétrole ou le charbon, mais aussi de déchets industriels tels que des huiles usées, des résidus de construction ou des pneus.

Cimenterie de St-Constant.

La cimenterie de Saint-Constant a recours à 80 % d'énergies fossiles pour chauffer ses fours et à 20 % des produits industriels recyclés comme des pneus.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Le captage du carbone est une autre option régulièrement évoquée par l’industrie. Des technologies existent, mais la rentabilité est loin d’être assurée, selon M. Tagnit-Hamou, qui s’attend à des coûts de stockage et de transport très élevés. C'est pourquoi il miserait plutôt pour la réduction à la source.

Limiter l’utilisation du béton

Comme souvent dans la lutte contre les GES, une des solutions les plus évidentes demeure de réduire la consommation. C'est le nerf de la guerre, selon le chercheur.

Il invite d'ailleurs les architectes et les ingénieurs à prioriser des modèles qui exigent une moins grande quantité de ciment, c'est-à-dire des structures élancées et le recours à des bétons plus performants.

Un point de vue que partage Pascal Bergeron. Il souhaiterait l’adoption d’un plan de sortie du béton au Québec. C'est le rôle du politique, dit-il, et c'est la job qui ne se fait pas en ce moment.

Si on n’intervient pas en amont sur la consommation, on ne réglera jamais le problème.

Une citation de Pascal Bergeron, porte-parole de l’organisme Environnement Vert Plus
Pascal Bergeron, porte-parole d’Environnement Vert Plus.

Le militant environnementaliste Pascal Bergeron.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Par ailleurs, M. Bergeron estime que la bourse du carbone permettrait déjà de contraindre les cimenteries à réduire leurs émissions de GES.

Le problème, soutient-il, c'est que le gouvernement québécois leur a offert un statut spécial avec de très faibles redevances, l'objectif étant de ne pas les pénaliser face à la concurrence étrangère.

Avec le modèle affairiste qu'on nous propose, l'entreprise privée va s'autoréguler, déplore Pascal Bergeron.

Face au laxisme de Québec, ses attentes sont désormais limitées. Il regrette que le gouvernement demande aux cimenteries de présenter leur propre plan de match d'ici le mois de mai, plutôt que d'imposer des mesures coercitives.

Est ce que ça va donner quelque chose? Est-ce qu’il va vraiment y avoir des conséquences? s’interroge-t-il. On trouve que c’est assez peu convaincant.

Dans les prochains mois, Québec a l'intention d'établir des seuils d'émission de GES pour les cimenteries et, en cas de non-respect, il y aura des conséquences pécuniaires importantes, assure Mélina Jalbert, attachée de presse du ministre de l'Environnement Benoit Charette.

Le Québec vise, d’ici 2030, une réduction de 37,5 % des émissions de GES par rapport à leur niveau de 1990 et la carboneutralité pour 2050.

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