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Le ministère de l’Éducation du Québec, mauvais élève de l’accès à l’information

Il dépasse le délai légal dans 66 % de ses réponses aux citoyens qui veulent obtenir des documents publics.

Une personne manipule des pages de documents caviardés.

L'an dernier, le ministère de l'Éducation a répondu à 321 demandes d'accès à des documents administratifs.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Il faut être patient lorsqu'on demande l'accès à un document public du ministère de l'Éducation du Québec. Deux tiers de ses réponses parviennent aux citoyens au-delà du délai légal de 30 jours, révèle une compilation réalisée par Radio-Canada, à partir des rapports annuels de gestion des ministères.

Le ministère de la Sécurité publique et celui de l'Enseignement supérieur présentent un bilan guère plus reluisant, au regard de leur lenteur à répondre.

De son côté, le ministère des Relations internationales et le Conseil exécutif, le ministère du premier ministre, sont les champions des demandes refusées.

Quant au ministère de la Santé, il était le seul à ne pas présenter de bilan officiel pour l'année dernière. Heureusement, à la demande de Radio-Canada, il a retrouvé les chiffres.

Bernard Drainville s'adresse aux journalistes.

Le ministre de l'Éducation du Québec, Bernard Drainville. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Parmi les ministères cités précédemment, trois sont dirigés par d'anciens journalistes (Bernard Drainville, Pascale Déry et Martine Biron) qui connaissent l'importance de la Loi sur l'accès aux documents (Nouvelle fenêtre) pour le droit du public à l'information.

Depuis 1982, tout citoyen a le droit de demander l'accès aux documents administratifs. La loi impose à un ministère ou à tout autre organisme public de lui répondre dans un délai de 20 jours.

Si jamais le traitement de la demande n'est pas possible sans nuire au déroulement normal des activités de l’organisme public, une prolongation de 10 jours est permise.

En résumé, au-delà de 30 jours, c'est illégal et le citoyen mécontent peut s'adresser à la Commission d'accès à l'information, qui est un tribunal administratif.

25 % des réponses des ministères dans des délais illégaux

Jeudi, à l’Assemblée nationale, se tiendra l’étude des crédits du ministre responsable de l’Accès à l’information, Jean-François Roberge.

Les parlementaires pourront l’interroger sur le bilan global du gouvernement, mais aussi plus particulièrement sur le bilan du ministère de l’Éducation, dont il gérait le portefeuille jusqu’en octobre 2022.

Le ministère de l’Éducation présente le plus mauvais bilan de 2022-2023. C’est un habitué du bas de classement, puisque, l’année précédente, un rapport produit par la Commission d’accès à l’information le plaçait déjà comme le plus lent des organismes publics analysés.

Son résultat s'est même dégradé, car, à l'époque, 50 % des réponses du ministère dépassaient les délais légaux. Le bilan est passé à 66 %.

Interrogé par Radio-Canada, le ministère plaide que le nombre de demandes qu'il reçoit augmente depuis quelques années, et encore de 20 % pour l’année 2023-2024 par rapport à 2022-2023.

Nous prenons la situation très au sérieux, assure le porte-parole Bryan St-Louis. Nos équipes sont d'ailleurs mobilisées pour améliorer la situation.

Le respect des délais prescrits demeure un objectif prioritaire. À cet effet, nos processus et nos outils ont été revus et optimisés, et des ressources supplémentaires ont été engagées pour assurer le suivi des demandes d’accès.

Une citation de Bryan St-Louis, porte-parole du ministère de l'Éducation du Québec.

De son côté, le ministère de la Sécurité publique se dit sensible à cet enjeu, pour assurer aux citoyens le droit à l'information.

Il invoque, lui aussi, l’augmentation des demandes par rapport à l’année précédente et des enjeux de main-d’œuvre qui ont nécessité des efforts en matière de recrutement.

Le porte-parole Robert Maranda met aussi de l'avant le fait que son ministère traite des documents qui renferment des renseignements de nature sécuritaire, notamment des dossiers correctionnels et d’affaires policières qui requièrent une attention particulière.

Au cours des derniers mois, des postes vacants ont été pourvus au sein de l’équipe qui va permettre d’accroître l’efficience globale au profit du service au citoyen. Déjà, l’impact se fait sentir quant au nombre de demandes traitées.

Une citation de Robert Maranda, porte-parole du ministère de la Sécurité publique du Québec.

Des délais stratégiques?

Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal qui enseigne le droit de l’information, reconnaît que des ministères ont des enjeux justifiés, mais il déplore que certaines utilisent des délais stratégiques, en mettant le plus de temps possible à répondre, en espérant que le document sera moins chaud, au moment où il sera rendu disponible.

Pierre Trudel.

Pierre Trudel

Photo : Radio-Canada/La Facture

En 2022, une enquête de Radio-Canada a montré l’existence de pressions et de jeux de coulisses dans certains organismes publics pour freiner l’accès à l’information.

Des fonctionnaires chargés d’appliquer la loi témoignaient, sous le sceau de la confidentialité, des tentatives de l'administration québécoise pour restreindre autant que possible l’information transmise aux journalistes et à la population, notamment dans le réseau de la santé.

Apparition soudaine du bilan du ministère de la Santé

Début avril, le Parti québécois dénonçait l'absence d'informations sur l'accès à l'information au ministère de la Santé et des Services sociaux. Le MSSS est le seul ministère à ne pas avoir produit de bilan cette année. Raison invoquée : le système informatique du ministère devait être changé, car il ne rendait plus possible l'extraction des données.

On peut se demander pourquoi, en attendant l'implantation de ce nouveau système, le ministère n'a pas maintenu le mode de compilation auparavant en vigueur, demandait le PQ. Avait-on quelque chose à cacher?

Questionné par Radio-Canada, le ministère a été en mesure de nous fournir un bilan statistique, calculé manuellement. On y découvre que 26 % de ses réponses se font au-delà du délai légal.

Il ne s’agit en aucun cas d'un moyen dilatoire pour échapper à nos obligations.

Une citation de Marie-Claude Lacasse, porte-parole du ministère de la Santé.

La situation a été corrigée et les données officielles de 2023-2024 seront diffusées dans le rapport annuel qui sera déposé à l'Assemblée nationale dans quelques mois, assure le MSSS.

Ça laisse sceptique, lance le professeur Pierre Trudel. Il déplore qu'il n'y a pas d'incitatif dans la loi pour forcer les organismes à être rigoureux.

Le caviardage est utilisé pour masquer certaines informations sensibles contenues dans les documents publics.

Le caviardage est utilisé pour masquer certaines informations sensibles contenues dans les documents publics.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le ministère de François Legault dans les champions des refus

En 2022-2023, 31 % des demandes de documents adressées au ministère des Relations internationales, celui de Martine Biron, ont fait l'objet d'un refus complet et 53 % d'un refus partiel (caviardage).

Juste derrière, on trouve le ministère du Conseil exécutif, de François Legault, qui a refusé complètement 28 % des demandes et partiellement, 21 %.

C'est du Conseil exécutif que relève le ministre responsable de l'Accès à l'information, Jean-François Roberge.

Jean-François Roberge en conférence de presse.

Le ministre Jean-François Roberge. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

Tout document d’intérêt public demandé légitimement doit être dévoilé, sauf si la publication de son contenu causerait certains préjudices comme une atteinte au secret professionnel ou industriel, une menace à la protection des renseignements personnels ou encore des informations qui pourraient nuire à une enquête ou à un appel d’offres.

Il est ainsi possible de refuser l’accès à l’entièreté d’un document ou d’en caviarder une partie et d'en dévoiler une autre, en invoquant une des 24 exceptions prévues.

Un organisme qui veut bloquer l'accès à un document peut invoquer n'importe quoi, même les trucs les plus loufoques. Et, il n'y a pas de sanction véritable, sinon qu'il va être un jour obligé d'accorder l'accès. Combiné avec la lenteur proverbiale des tribunaux, ça fait en sorte que le droit est, en pratique, nié.

Une citation de Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal

Nombreux appels à moderniser la loi de 1982

Ça fait très longtemps que cette loi devrait être modernisée, dit Pierre Trudel. Il n'est pas le seul à le demander. Depuis plusieurs années, la Commission d'accès à l'information recommande au gouvernement de changer la loi afin de prévoir des conséquences pour les organismes qui ne respectent pas le délai de réponse.

Même l'Association des professionnels en accès à l’information et en protection de la vie privée (AAPI), qui regroupe plus de 500 membres dans différents organismes publics et ministères, dénonce une loi qui a perdu de son lustre.

L'AAPI demande d’affirmer encore plus le principe que l’accessibilité est la règle générale, le non-accès l’exception et se dit favorable à une plus grande transparence quant à la prise de décision d’appliquer ou non les restrictions au droit d’accès.

En 2022, l'ancien ministre responsable, Éric Caire, avait lui-même noté l’incohérence de deux ministères qui donnent deux réponses différentes.

L'an dernier, lors de l'étude des crédits, le ministre Jean-François Roberge a ouvert la porte à une réforme et évoqué un projet de loi avant les élections de 2026. Mais depuis, il a refusé de s'engager à le faire.

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