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En politique, les questions n’ont pas changé, mais les réponses sont plus rares que jamais

Entre l'augmentation du nombre de relationnistes et la diminution du nombre de journalistes, questionner le gouvernement n'a jamais été aussi difficile.

Un politicien de dos répond aux questions de trois journalistes, entouré de cinq autres personnes qui filment avec leurs téléphones.

Le reporter aux affaires politiques de CBC Halifax, Michael Gorman (au centre en chandail gris) questionne le ministre John Lohr. Plus nombreux que les journalistes, des employés de Communications N.-É. et des partis politiques les entourent.

Photo : CBC / Jean Laroche

Radio-Canada

En 1994, si un journaliste avait des questions pour le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, il sortait de Province House — l’édifice où siègent les députés de l’Assemblée législative —, traversait la rue Granville au centre-ville d’Halifax, entrait au One Government Place, prenait l’ascenseur jusqu’au 7e étage et demandait à la réceptionniste si John Savage avait quelques minutes pour jaser.

La plupart du temps, le premier ministre sortait de son bureau et répondait aux questions. John Savage et le journaliste partaient chacun de leur côté et retournaient vaquer à leurs occupations.

C’est aussi ce qui se passait dans les années 1970, lorsque Stephen Kimber était jeune reporter.

Si je voulais parler à Garnie Brown, qui était ministre du Tourisme, je prenais le téléphone et je l’appelais, dit M. Kimber, aujourd’hui professeur de journalisme à l’Université King’s College, à Halifax. Il parlait, sans filtre, à tous ceux qui lui téléphonaient.

Entre les élus et les électeurs, beaucoup d’obstacles

Dire que les choses ont changé est un euphémisme. Aujourd’hui, l’accès aux politiciens s’est compliqué, et ce, de toutes les manières possibles.

Ils se cachent derrière une armée de relationnistes, d’employés et d’experts en communication. Il y a plus de gens qui écrivent, filment, produisent et font circuler les messages que les gouvernements et leurs adversaires veulent mettre sous les yeux et dans les oreilles des citoyens.

Deux chaussures foncées d'homme placées autour de deux morceaux de papier collant argenté formant un X sur le tapis de l'allée centrale d'un avion.

Le premier ministre Justin Trudeau se tient à l'endroit précis où son équipe a placé du papier collant lors d'un arrêt à Halifax, le 18 septembre 2019.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

La simple couverture des affaires politiques, vitale dans une démocratie, est devenue de plus en plus difficile. En même temps, à plusieurs endroits, il y a de moins en moins de journalistes qui couvrent la politique.

C’est important. Ce n’est pas sexy, plusieurs aspects ne sont pas plaisants, mais tenir les politiciens responsables devant le public est un aspect essentiel de la démocratie.

Une citation de Stephen Kimber, vétéran journaliste et professeur de journalisme

Autrefois, les journalistes accrochaient les députés qui entraient ou sortaient de la Chambre pour leur poser des questions. Des barrières avec des cordes, comme dans les files d’attente, ont commencé à apparaître pour ne pas qu’ils s’approchent trop.

La bouche ouverte, Jacques Chirac est debout devant des dizaines de badauds dans la rue et serre des mains.

Accompagné du premier ministre néo-écossais John Savage (à l'arrière, à droite), le président français Jacques Chirac prend un bain de foule en arrivant au sommet du G7 à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 15 juin 1995.

Photo : Reuters / STR News

De nos jours, les interactions entre les ministres et les journalistes sont surtout contrôlées par le personnel des communications. Les échanges se font sous l’œil attentif des employés du gouvernement ou du caucus. Souvent, ils sont bien plus nombreux que les journalistes.

Le paysage médiatique a changé radicalement depuis les années 1990. Les ressources journalistiques, de plus en plus minces, ont eu un impact sur la manière dont la politique est suivie par les médias.

L'entrée de Province House, à Halifax, le 6 septembre 2018.

Province House, où se réunit l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, à Halifax, le 6 septembre 2018.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Wolf

D’une quinzaine de journalistes couvrant l’Assemblée législative à Halifax, il n’y en a plus qu’une poignée. Des journaux n’existent plus, des radios privées ne couvrent plus la législature et des réseaux importants comme Global et CTV n'en font plus la couverture quotidienne. La quantité et la variété des reportages et des textes traitant de politique ont diminué.

Lorsqu’un ministre répond à une question, il risque de voir ses mots utilisés contre lui par un parti d’opposition, qui en fera un clip pour les réseaux sociaux. Ce pourrait être une des raisons pour lesquelles les mêlées de presse sont maintenant contrôlées plus étroitement par des agents en communication et se terminent après une durée précise.

Il est de plus en plus rare et difficile d’obtenir une réponse directe d’un ministre, dit Stephen Kimber.

Ce que vous recevez, c’est une déclaration presque assurément préparée par des gens soucieux d’obscurcir et de nuancer pour empêcher qui que ce soit de savoir quoi que ce soit.

Une citation de Stephen Kimber, vétéran journaliste et professeur de journalisme

Une agence de communication qui contrôle tout

Les bureaucrates reçoivent l’ordre de ne jamais communiquer directement avec les journalistes. On redirige les médias vers Communications Nouvelle-Écosse, l’agence de communication du gouvernement provincial.

Son rôle a pris de plus en plus d’importance. En 1994, ce qui s’appelait alors le service de l’information de la Nouvelle-Écosse avait un budget de 1,2 million de dollars. Il employait 24 personnes.

Trente ans plus tard, Communications Nouvelle-Écosse a un effectif de 87 personnes. Son budget est de sept millions de dollars. Sa taille et son budget trahissent le rôle accru que cette agence a pris et l’importance que lui accordent maintenant les gouvernements.

Tim Houston s'accroupit pour parler à deux hommes. L'un se tourne vers lui pour lui adresser la parole. L'autre prend une gorgée de son verre.

Tim Houston (au centre), candidat à la direction du Parti progressiste-conservateur de la Nouvelle-Écosse, lors d'un congrès de cette formation politique, le 10 février 2018 à Halifax. Élu chef, Tim Houston a élu premier ministre en août 2021.

Photo : Radio-Canada / Paul Légère

Communications Nouvelle-Écosse répond aux demandes des médias, rédige et publie des communiqués de presse, planifie les conférences de presse, crée du contenu promotionnel et, de plus en plus, organise des diffusions en direct sur des réseaux sociaux.

Le gouvernement provincial ne se fie plus autant aux agences de presse et aux journaux pour promouvoir son programme et pour faire connaître ses décisions et ses politiques. Une agence comme Communications Nouvelle-Écosse peut s’en charger.

Portrait professionnel d'un homme aux cheveux gris, qui pose pour la photo en esquissant un léger sourire.

Le vétéran journaliste aux affaires politiques Stephen Kimber est aujourd’hui professeur de journalisme à l’Université King’s College, à Halifax.

Photo : Photo fournie par Stephen Kimber

La question, dit Stephen Kimber, n’est pas de donner de l’information mais de la contrôler, de la diffuser à des conditions bien précises.

Trois partis, même résultat

Le journaliste à la retraite et professeur note aussi cette habitude : les gouvernements en devenir promettent d’accroître la transparence et de rendre l’accès plus facile. Une fois au pouvoir, immédiatement, ils s’aperçoivent que ce n’est pas dans leur intérêt, dit-il.

Cet intérêt transcende les partis.

En Nouvelle-Écosse, les libéraux de Stephen McNeil ont promis, quatre jours avant d’être élus, de donner plus de pouvoir au bureau du commissaire à l'information et à la vie privée. Cinq ans plus tard, le premier ministre a dit que cette promesse avait été une erreur.

Stephen McNeil, assis à une grande table avec les membres de son cabinet, se tourne vers le photographe et sourit.

Stephen McNeil photographié lors de la première rencontre de son cabinet, le 31 octobre 2013 à Halifax, moins de trois semaines après avoir été élu premier ministre.

Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan

Les progressistes-conservateurs ont annoncé la même chose sous le premier ministre actuel, Tim Houston. Deux ans et demi plus tard, la commissaire Tricia Ralph attend toujours.

Paranoïaques

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a été le premier à exercer un contrôle notable sur Communications Nouvelle-Écosse durant le mandat du premier ministre Darrell Dexter. De 2009 à 2013, l’agence a vu son rôle grandir, devenant responsable de créer des campagnes de marketing et de défendre les initiatives du gouvernement.

Ces experts en relations publiques, les spin doctors, ont tout gâché. Il n’y a plus de conversations. Ils ont commencé à livrer des messages, qui sont reçus avec méfiance, dit Barbara Emodi, responsable des communications pour le caucus du NPD lorsque ce parti était au pouvoir.

Suivi par des personnes qui marchent en le filmant avec de grosses caméras, un politicien en chemise rose à manches courtes marche sur le trottoir d'une rue fermée à la circulation.

Suivi par des caméramans, le premier ministre néo-démocrate de la Nouvelle-Écosse, Darrell Dexter, déambule dans les rues d'Halifax pendant la campagne électorale, le 3 octobre 2013.

Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan

Elle croit que les gens au bureau du premier ministre sont devenus paranoïaques, ce qui justifie à leurs yeux de resserrer leur contrôle sur l’information.

À la fin, c’est le public qui en paye le prix, dit-elle.

C’est très facile pour les gouvernements, pour les politiciens individuellement, de prendre des décisions qui ont des conséquences sur chacun de nous sans devoir rendre de comptes, dit Barbara Emodi.

D’après une analyse de Jean Laroche (CBC)

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