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Quel avenir pour Postes Canada?

Il aura fallu moins de 20 ans pour que le volume d’enveloppes déposées dans les boîtes aux lettres du pays fonde de moitié. Le temps est maintenant aux colis. Mais la Société canadienne des postes peine à s’imposer devant des concurrents moins chers et plus agiles.

Une boîte aux lettres près du Palais des Congrès à Montréal.

Une boîte aux lettres près du Palais des congrès à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Quand êtes-vous allés pour la dernière fois au bureau de poste? Combien de fois par semaine regardez-vous le contenu de votre boîte aux lettres? Achetez-vous encore des timbres?

Faites l’exercice, demandez autour de vous. Les réponses témoignent probablement d’une relation bien mince avec une institution pourtant vieille de plus de 270 ans. Bien loin de son heure de gloire.

Depuis sa naissance, en 1754, la poste a tissé toute une toile sur un vaste pays. Pendant des décennies, les postiers passaient par chaque adresse deux fois par jour (jusqu’en 1951) et même les samedis (jusqu’en 1969).

Mais en peu de temps, Internet a tout changé. En 2006, environ 5,5 milliards (oui, milliards) de lettres étaient acheminées. En 2023, c’était moins de la moitié. Et bien évidemment, les revenus ont fondu.

Mais le nombre d’adresses à visiter, lui, n’a cessé d’augmenter. Résultat, rappelle Alexandre Brisson, vice-président Ingénierie à Postes Canada, les coûts de livraison du courrier augmentent sans cesse.

L'an dernier, Postes Canada a perdu 748 millions de dollars. C'est 200 millions de plus que les pertes enregistrées en 2022.

Le service postal se dit à un moment charnière de son histoire et écrit dans son rapport annuel (Nouvelle fenêtre) avoir besoin d'une plus grande flexibilité pour s'ajuster à un environnement hyperconcurrentiel.

Ces données alimenteront les discussions aux tables où Postes Canada négocie les conditions de travail de ses 68 000 employés.

Un problème universel

Ce n'est bien sûr pas uniquement au Canada que le monde postal est bousculé. Le courriel et les téléphones intelligents ont fait disparaître le besoin d’envoyer des lettres et des factures un peu partout sur la planète.

Certains services de postes ont été privatisés (Royaume-Uni, Australie), d’autres ont coupé de moitié la fréquence de livraison à domicile (Suède, Belgique). Chacun cherche à retrouver la rentabilité et une raison d’être.

En France, les postiers veillent déjà sur les aînés vivant seuls à domicile dans des petites localités. La livraison de repas aux personnes moins autonomes est même perçue comme un secteur de croissance.

Aux États-Unis, USPS tente de devenir le joueur privilégié pour la livraison de colis à la maison. Beaucoup d’efforts sont déployés pour capter le plus grand segment de marché possible.

Augmenter le volume des colis, pas seulement d’Amazon, mais aussi de FedEx et UPS, c’est la clé de l’avenir financier de la poste, expliquait récemment le Postmaster General des États-Unis, Louis DeJoy.

Le bureau de poste au Palais des congrès à Montréal, Québec.

Le bureau de poste au Palais des congrès à Montréal, Québec.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

De son côté, Postes Canada met des solutions en place depuis au moins 2013. La Société a beaucoup investi pour faciliter la livraison de colis et moderniser son équipement et ses façons de faire.

La pandémie a bousculé l’institution. Les confinements ont dopé la demande pour la livraison de colis; des livreurs plus souples et moins chers ont fait leur apparition sur le marché.

Amazon, qui était un client important de Postes Canada, est devenu un concurrent. Ses camions circulent dans bien des villes du pays, ce qui ajoute aux difficultés.

Bien des postiers semblent déboussolés par ces chamboulements. Les routes sont plus longues, les sacs, alourdis par les nombreuses circulaires. Le métier serait plus pénible, moins attirant.

Pour plusieurs personnes, on ne sert plus à grand-chose, résume un ancien postier qui préfère rester anonyme. Dépité, il a demandé une mutation vers un travail à l’intérieur. D’autres ont carrément changé de profession.

Postes Canada a-t-elle le bon plan?

Une porte-parole de la Société canadienne des postes a refusé poliment notre demande d’entrevue, nous référant aux récents bilans financiers.

Le plan de transformation, intitulé Porteur d’un Canada plus fort, évoque les besoins d’accroître la capacité, d’améliorer le suivi des envois. Mais il comporte peu de détails concrets.

La Société a besoin d’une restructuration radicale, selon la formule privilégiée par Ian Lee, l’un des rares observateurs du monde postal canadien.

Enseignant à la Sprott School of Business de l’Université Carleton, il dénonce le fait que les postiers parcourent encore chaque rue du pays, chaque jour de semaine.

On n’a plus besoin de tous ces bureaux de poste et de la livraison quotidienne des lettres. Il faut tout repenser, lance-t-il depuis son bureau d’Ottawa. Il faut réinventer la poste pour la sauver.

Un bureau de poste dans la région de Bellechasse.

Un bureau de poste dans la région de Bellechasse.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Il croit que Postes Canada devrait tout miser sur sa principale force : un vaste réseau permettant d’atteindre toutes les adresses du pays. Mais pas nécessairement tous les jours.

Il entrevoit un avenir dans le marché de la livraison des colis et des documents officiels. Ce ne sont pas des choses urgentes à acheminer, ce qui veut dire que le moment de livraison peut être ajusté pour optimiser les déplacements des postiers.

Ce mode d’acheminement dynamique, au parcours changeant en fonction des besoins, pourrait réduire les coûts de main-d'œuvre, qui représentent environ la moitié des dépenses annuelles de Postes Canada.

La clé, selon Ian Lee, c’est de faire disparaître l’obligation légale de livrer le courrier dans un certain délai (2, 3, 5 jours selon la destination); une obligation qui n’aurait plus sa place dans une ère de communications électroniques.

Les gens n’utilisent pas la poste pour sa rapidité… Si vous êtes pressé, vous envoyez un courriel ou vous appelez FedEx! À Postes Canada de s’adapter.

Quelle voie choisir?

Postes Canada n’est bien sûr pas la seule à vivre ces perturbations. Ce qui fait que les exemples dont il faut s’inspirer ne manquent pas. Reste à choisir.

Les récentes audiences devant un comité du Sénat offrent un exemple des tensions existantes, notamment entre décideurs et employés, compliquent le travail des décideurs.

Devant le Sénat, le vice-président des opérations et de l’ingénierie à Postes Canada a évoqué les tests de livraison par drones menés dans les régions difficiles d’accès du Royaume-Uni.

Nous faisons des tests là-dessus. Nous suivons ce qui se passe dans le marché, révélait Alexandre Brisson en avril. Il a aussi expliqué que Postes Canada était loin d’être prête à la livraison par drone.

Malgré tout, l’option semble déjà rejetée par le plus important syndicat des postiers canadiens. Les drones ne paient pas d’impôt dans leur communauté,  a répliqué Jan Simpson, présidente du STTP, parlant du besoin de conserver de bons emplois.

Pour survivre, la Société canadienne des postes doit trouver de nouvelles sources de revenus tout en réduisant ses dépenses. Cet exercice d'équilibre est compliqué par l’obligation de renégocier les dispositions des conventions collectives.

Il y a urgence à réformer, rappelle Ian Lee, de l’Université Carleton, soulignant que les concurrents dans la livraison de colis ne feront pas de cadeaux à Postes Canada.

Les gens de la poste, ils ne sont ni assez rapides, ni assez flexibles, ni assez concurrentiels, lance-t-il. Et s’ils n’y parviennent pas [à se restructurer], l’avenir est vraiment sombre.

Là où la poste est encore bien perçue

Bien des Canadiens ne peuvent pas compter sur FedEx ou Amazon pour livrer colis et documents importants. À la campagne, dans les villages du Nord ou des Prairies, la poste est souvent la seule institution offrant un service jugé peu rentable par l’entreprise privée.

Le syndicat représentant les maîtres de poste de régions rurales (ACMPA) défend l’existence des petits bureaux de poste, espérant que les Canadiens n’aient pas trop de route à faire pour y accéder.

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