•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Avec la crise en Haïti, devenir joueur professionnel est plus ardu que jamais

Trois joueurs de soccer marchent ensemble.

Watz Landy Leazard, à droite, accompagné de ses coéquipiers des Grenadiers U-20 de l'équipe nationale haïtienne Woodensky Pierre, à gauche, et Stevenson Jeudi, au centre.

Photo : Fédération haïtienne de football

Championnat national à l’arrêt, difficultés herculéennes d’obtenir un visa pour se rendre à l’étranger pour un essai professionnel, impossibilité pour les recruteurs de se rendre sur l’île pour évaluer le talent... La crise humanitaire et les violences dans la perle des Antilles ont accentué les problèmes qui plombaient déjà le soccer haïtien. Les jeunes joueurs, aussi talentueux soient-ils, sont dans une impasse.

L’équipe nationale haïtienne a marqué les esprits l’été dernier lors du Championnat de la CONCACAF des moins de 20 ans en obtenant notamment un match nul face à la puissante sélection mexicaine. Or, depuis juillet, les joueurs dirigés par l’entraîneur canado-haïtien Angelo Jean-Baptiste peinent à recueillir les fruits de leur prestation sur la scène internationale.

Je crois qu’Haïti a beaucoup de talent, mais, malheureusement, on a beaucoup de problèmes pour sortir du pays, lance celui qui œuvre depuis plus de 20 ans dans le soccer canadien comme entraîneur et qui est arrivé à la rescousse de la sélection, délaissée par la fédération nationale, dans les jours précédents la compétition.

Les jeunes Haïtiens ont brillé de mille feux l’été dernier lors du Championnat U-20. Plusieurs d'entre eux ont attiré l'intérêt d'équipes européennes, américaines ou canadiennes, assure Nicolas Martineau, qui représente trois joueurs de la sélection avec son agence Obelisq : Watz-Landy Leazard, Stevenson Jeudi et Shad San Millán.

Photo de groupe d'une vingtaine d'adolescents qui regardent la caméra.

L'équipe nationale haïtienne U-20 de soccer lors du Championnat de la CONCACAF en juin dernier

Photo : Fédération haïtienne de football

Vous avez vu?

Consulter le dossier complet

Plusieurs personnes de dos, les mains en l'air, célèbrent un jeu de football à la télévision.

Toutefois, le processus d’obtention d’un simple visa de touriste pour se rendre à son essai professionnel aux États-Unis ou au Canada, par exemple, est si long que les équipes se découragent en cours de route. Quand elles ne refusent pas d’emblée les propositions de joueurs haïtiens.

C'est une discussion que j'ai assez régulièrement avec des équipes américaines, reconnaît Nicolas A. Martineau. Quand je leur propose des joueurs haïtiens, ils disent : "On a déjà essayé de négocier avec des équipes en Haïti. C'est tout le temps tellement trop compliqué qu'on a décidé de rebrousser chemin et de ne pas aller dans ce pays-là."

Ça, c’était même avant la crise sociale, souligne l’agent. Là, c’est exacerbé par la situation politique dans le pays.

Très souvent, on se fait refuser [un visa]. Les jeunes ne peuvent pas voyager. L’Haïtien est dans une bouteille, lâche simplement l’entraîneur des jeunes Grenadiers.

Le passeport haïtien est reconnu dans seulement 49 pays, rappelle-t-il, et seulement deux dans toutes les Amériques, le Belize et la Bolivie. Partout ailleurs, un visa est requis pour voyager, même en touriste.

La crise humanitaire sans précédent en ce moment en Haïti fait en sorte qu’il y a un blocage à l'immigration, que ce soit pour les gens qui veulent venir au Canada, qui veulent aller aux États-Unis ou qui veulent aller en Europe. Tout le monde tente de sortir du pays actuellement. Ça cause un embouteillage aussi pour les athlètes professionnels ou les athlètes qui aspirent à devenir professionnels, dont les joueurs de soccer, détaille Nicolas A. Martineau.

La crise sociale a l'effet pervers, ajoute-t-il, qu’il est tout aussi impossible d’inviter un recruteur d’un club nord-américain à se rendre en Haïti actuellement pour évaluer le talent local, en raison de la situation qui prévaut dans le pays, notamment les risques d'enlèvement.

Partir, quand on peut

Ainsi, parmi les joueurs de l’équipe U-20 possédant un passeport haïtien, seulement l'un d’entre eux, Watz Landy Leazard, est parvenu à obtenir un contrat professionnel à l’extérieur du pays. Les autres sont incapables d’obtenir les visas nécessaires pour se faire valoir auprès des équipes.

Pour Watz, on a réussi à avoir un visa américain parce qu’il a eu un contrat directement sur la table, explique Nicolas A. Martineau.

Et malgré cette promesse d’un contrat de deux ans, qu’il a signé le 5 janvier dernier en USL, − la deuxième division nord-américaine − avec le FC Tulsa, l’ailier de 19 ans a dû galérer et profiter de l’appui personnel et financier du président de son club haïtien, le Real Hope FC, pour sortir du pays.

Un joueur de soccer regarde devant lui.

Watz Landy Leazard à l'entraînement avec le FC Tulsa, une équipe de la USL établie en Oklahoma.

Photo : FC Tulsa

Ça a été vraiment difficile pour obtenir le visa, car la situation de mon pays était très difficile, raconte en créole le talentueux attaquant depuis l’Oklahoma, où il commence à peine à apprendre l’anglais.

Il y avait beaucoup de manifestations. J'ai dû passer par Saint-Domingue [la capitale de la République dominicaine, NDLR] pour aller chercher mon visa. Il y avait toujours des manifestations et beaucoup de violence dans le pays. J’ai dû faire beaucoup de va-et-vient entre Saint-Domingue et Haïti, remplir les formulaires nécessaires. C’était vraiment compliqué.

Pour voyager en République dominicaine, il a dû demander son visa dominicain, ce qui coûte des centaines de dollars. Puis, voyager en République dominicaine pour aller passer son premier rendez-vous avec les autorités américaines, retourner en Haïti, retourner pour le deuxième rendez-vous de visa, obtenir son visa, retourner attendre en Haïti pendant un mois et finalement recevoir son billet d'avion, son visa pour voyager aux États-Unis et sortir de là. Ç’a été un long processus, relate d’un seul souffle le cofondateur de l’agence Obelisq.

Ç’a été un processus qui a coûté très cher, continue-t-il. Heureusement, l'équipe de Watz en Haïti a aidé financièrement le joueur. C'est elle qui a pris en charge ses déplacements en République dominicaine et son visa. Et ça, c'est parce qu'ils ont les poches relativement profondes et qu'ils ont mis du leur pour aider le joueur à sortir. Si ça n’avait pas été de l'équipe et de la générosité du président de l'équipe là-bas, le joueur serait resté coincé en Haïti, assurément.

Tout cela, rappelle Nicolas A. Martineau, en ayant déjà une offre contractuelle pluriannuelle. Pour un joueur désirant obtenir un essai professionnel de quelques jours ou de quelques semaines, toutes ces embûches finissent par ressembler à un cul-de-sac.

Rester, sans jouer

En attendant une offre professionnelle à l’étranger, un visa ou encore que la situation se calme dans le pays, les jeunes joueurs haïtiens ne peuvent profiter d’un championnat national fonctionnel.

Le championnat est arrêté, il y a de gros problèmes. Les équipes ne peuvent se déplacer du nord au sud et vice-versa. La situation politique du pays rend impossible la tenue d’un championnat, affirme Watz Landy Leazard.

Les clubs, et surtout les académies, ne sont pas pour autant à l’arrêt complet. Mais pour l’élite, il n’y a plus beaucoup de possibilités de progresser.

À Port-au-Prince, le football est stérile. Mais dans les villes de province, il y a encore des tournois qui se jouent en ce moment, poursuit Angelo Jean-Baptiste. Le jeune talent continue de se développer, mais le problème, c’est qu’au niveau du championnat national, avec les équipes seniors, il n’y a pas de compétition.

Un homme parle à quelques adolescents.

Le Canado-Haïtien Angelo Jean-Baptiste (à droite) est depuis l'an dernier l'entraîneur des équipes nationales haïtiennes U-20 et U-17. Il dirige en février l'équipe U-17 au Championnat de la CONCACAF au Guatemala.

Photo : Fédération haïtienne de football

Toujours en contact avec ses coéquipiers de l’équipe nationale U-20, qui sont rendus pour la plupart à quitter les académies et à entrer de plain-pied dans le monde professionnel, Watz Landy Leazard confirme que leur moral est au plus bas.

C’est vraiment difficile en Haïti. Il n’y a pas de championnat, les joueurs ne font rien, et il y a des joueurs qui ne connaissent que le football. C’est la seule chose qui leur rapporte de l’argent pour vivre, dit-il.

Et les quelques centaines de dollars qu'ils peuvent gagner par mois dans un club haïtien − environ 400 $ selon Nicolas A. Martineau − ne sont qu'une fraction des quelques milliers qu'ils peuvent gagner dans un club professionnel en Amérique du Nord, même en deuxième division.

Leur moral est vraiment bas parce qu’ils ne jouent pas le championnat, il n’y a rien, pas de compétition, poursuit Watz Landy Leazard . Surtout qu’ils viennent de jouer une compétition internationale et la situation rend la possibilité de quitter le pays très compliquée [...] Je trouve que leur moral est très affecté.

J’aimerais que les dirigeants du pays laissent le football se jouer parce qu’il y a beaucoup de talent en Haïti. J’aimerais qu’ils s’unissent pour aider le football et faire fonctionner le pays. Nous sommes un grand peuple, nous avons du talent, nous sommes intelligents. Nos dirigeants doivent redémarrer le football. C’est ce que je souhaite.

Une citation de Watz Landy Leazard, joueur du FC Tulsa et membre des Grenadiers U-20

Un seul club professionnel haïtien a une compétition officielle à son calendrier, le Violette Athletic Club, qui affrontera en mars Austin FC, un club de la MLS, dans la Ligue des Champions de la CONCACAF… Mais peut-être bien avec un nombre minimal de joueurs.

Ils vont jouer contre Austin le 7 mars en République dominicaine et le match retour doit se faire aux États-Unis. C’est à peine s'ils ont donné 14 visas sur une délégation de 30 personnes, relève Angelo Jean-Baptiste. C'est très frustrant parce que comment vont-ils faire pour jouer cette compétition?

L’entraîneur de 42 ans, joint en République dominicaine avant son départ avec la sélection nationale des moins de 17 ans pour le Guatemala où elle dispute actuellement le Championnat de la CONCACAF, relate aussi le cas de la sélection des moins de 15 ans qui devait aller à un tournoi à Tampa, en Floride, après avoir gagné le championnat des Caraïbes.

Les garçons ont payé 7000 $ US au consulat, mais les enfants n'ont pas eu le visa. Ils n’ont pas pu faire le déplacement pour jouer la compétition.

Haïti est isolé, poursuit l’entraîneur. On est coincés, je ne sais pas ce qui va arriver avec cette nation. Je suis né en Haïti, je suis citoyen canadien aussi, mais je suis très fier d’être Haïtien. J'ai grandi là, c'est un pays que j'adore dans mon cœur. La frustration qu'on a maintenant, je n'arrive pas à l'exprimer.

L’agent et l’entraîneur l’avouent, ce que craignent les autorités des pays étrangers, c’est que les joueurs fassent défection une fois un visa obtenu et arrivé sur leur territoire.

C'est sûr que ce n'est pas évident, concède Angelo Jean-Baptiste. Il y a beaucoup d'Haïtiens qui voyagent et qui ne retournent pas au pays, c'est vrai. Mais bon, quand on regarde la réalité du pays, il n’y a personne qui veut mourir. Il n’y a personne qui veut se faire tirer une balle dans la tête parce qu’il y a plein de gangs qui occupent le pays. J'espère qu'un jour cette hémorragie va se stopper pour que les gens puissent respirer correctement en Haïti.

Trois hommes en veston prennent la pose pour la caméra.

L'agent de joueurs Nicolas A. Martineau (au centre) et ses associés de l'agence Obelisq Jonathan Beaulieu-Bourgault (à droite) et Wassim Gharmoul (à gauche) représentent trois joueurs de l'équipe nationale haïtienne U-20.

Photo : Obelisq/MARC ANDRE DONATO

Ils ont fait tout ce qu'ils avaient à faire pour être capables de sortir du pays. Maintenant, de se voir refuser des visas à court terme pour venir se montrer dans le cadre de leur travail, c'est un peu sévère. Ces jeunes ont 18-19 ans, ils sont au début de leur vie professionnelle. Ils ont le droit de gagner leur vie puis, malheureusement, ils sont coincés au pays parce qu'on met tout le monde dans le même bateau. On peut comprendre, mais c'est simplement une situation qui est très triste, dit Nicolas A. Martineau.

Angelo Jean-Baptiste souhaite aussi que les ligues professionnelles, et particulièrement la Première Ligue canadienne, qui se positionne comme une ligue formatrice, contribuent davantage à la sortie des joueurs haïtiens du pays.

Si on veut vraiment recruter, il va falloir que l’élite développe une relation avec les ambassades pour pouvoir faciliter l’entrée des joueurs. Le travail doit se faire avec les ligues, au niveau diplomatique. Il faut essayer d’aider les athlètes à voyager avec facilité, indique-t-il.

Je crois aussi que ça prend de la volonté des Haïtiens, pour faire d’Haïti un pays solide où on va nous respecter. Où on va donner un visa en disant : "Je sais qu’il va retourner dans son pays." Il faut qu’on soit en mesure de créer un environnement non seulement sécuritaire, mais un environnement où les gens peuvent vivre décemment pour qu’on puisse se faire respecter.

Moi, j’ai grandi en Haïti. Depuis 1986, on me dit : "Ça va changer, ça va changer". Mais j’attends toujours les changements, conclut l'entraîneur.

Avec la collaboration de Jacques-Alexis Bernardin

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Sports

Analyses, chroniques et bien plus encore! Suivez l’actualité sportive au-delà des résultats.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Sports.